Que signifie être de gauche aujourd'hui ?
Qu’est-ce que ça signifie être de gauche au 21e siècle ? Karl Marx est loin derrière nous et, paradoxalement, Lénine encore plus. Compte tenu que le prolétariat ne représente plus qu’une infime partie de la population, il devient difficile de répondre à cette question. Et ça se complexifie davantage quand on évoque les anarchistes, car plusieurs d’entre eux sont passés à droite à la fin des années 1960, aux côtés de ceux qui prônent la liberté contre l’État. En effet, comme le souligne avec justesse A. E. Berger, dans son Dictionnaire de mauvaise foi (ÉLP éditeur, 2015) (voir sa définition de l’anarchiste) :
« Le pire ennemi de l'État n'est ainsi pas forcément le petit libertaire qui rêve d'autogestion et de communautés, mais le grand patron, très anarchiste, qui veut être le maître du monde sans qu'on le contraigne à respecter quoi que ce soit. ».
Je crois que libertarien est le mot le plus juste pour désigner cette dérive qui ne peut être associée à la gauche.
La situation paradoxale de l’anarchiste s’étend aux militants chrétiens dont plusieurs sont récupérés par la droite américaine qui, tout en s’opposant à l’accès universel aux soins de santé et au contrôle des armes à feu, prêche en leur église la parole – assez égalitaire, pourtant – du Dieu des évangiles. Le trou de l’aiguille s’est agrandi, on dirait…
Alors, qu’est-ce que cela signifie être de gauche quand tous les anciens cadres de la pensée révolutionnaire se sont effondrés?
De manière générale, il n’est pas facile de définir la notion de gauche en politique. Fruit du hasard (les gens assis à gauche à l'Assemblée nationale pendant la Révolution française), l’Histoire aurait pu retenir d’autres termes, comme les Montagnards, par exemple, qui s’asseyaient en haut pendant la Convention, ennemis des Girondins qui, eux, s’asseyaient tout en bas, dans la « plaine »… Peu importe, aujourd’hui, être de gauche comprend une somme de valeurs susceptibles d’ébranler le couple Marx-Engels qui se retournerait dans sa tombe.
Aujourd'hui, sont considérés de gauche ceux et celles qui luttent contre toutes les formes de discrimination. Discrimination envers les autochtones, les musulmans, les personnes noires, comme à l’ensemble des personnes racisées, concept qui englobe toute personne dont les caractéristiques physiques se distinguent de la majorité blanche. Est aussi de gauche celui qui lutte contre la discrimination envers les homosexuels et, plus généralement, envers la communauté LGBTQ+. Même chose pour la discrimination envers les femmes. Bref, les gens qui se réclament de gauche sont en général contre toute forme de discrimination, on l’aura compris.
Et le progrès social ? Et la dignité que confère une situation économique permettant de satisfaire les besoins fondamentaux des hommes et des femmes ?
Comme le souligne les auteurs de l'article de Wikipédia sur le sujet, le clivage gauche-droite est devenu davantage une question de valeur qu'une donnée objective sur les conditions socio-économiques des individus. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la gauche est associée à des valeurs égalitaires alors que la droite revendique la liberté. L'égalité contre la liberté, donc. D'aucuns disent que le clivage porte aussi sur le changement social (gauche) et la tradition (droite), mais je ne suis pas prêt à clamer que les valeurs traditionnelles s'avèrent forcément de droite. Bref, nous pourrions en discuter longtemps.
Des valeurs, donc. Quand un homosexuel discriminé milite à partir de son appartement à un million de dollars dans le centre-ville de Montréal, cela fait-il de lui un homme de gauche ? Quand une femme, à la tête d'une banque canadienne, gagne en une seule année ce que vous gagneriez à peine en travaillant toute votre vie, est-elle de gauche ? Quand un joueur de tennis, qui s'est fait citoyen monégasque pour payer moins d'impôt, se plaint de profilage racial parce qu'il s'est fait arrêter - strictement pour vérification d'identité - au volant de sa voiture de luxe, est-ce que ça fait de lui un homme de gauche ? Je reconnais que la discrimination sous toutes ses formes n'a pas lieu d'être et, partout, elle doit être combattue. Mais au clivage de cette sorte de gauche-droite, je préfère parler de "classes", même si cette notion est aussi à revoir aujourd'hui...
Bref, on n'a pas fini d'en discuter.